Le pouvoir d’achat, c’est une équation à deux variables, simple à comprendre : on a d’un côté l’évolution du revenu des ménages et de l’autre, l’évolution des prix à la consommation.
On vous rappelle qu’en 2022, l’inflation a atteint 6% alors que les salaires de base ont progressé de 3.8% sur la même période selon la DARES. S’il est facile d’en tirer les conclusions sur l’évolution de notre pouvoir d’achat pour l’année passée, l’équation n’est pas si simple à résoudre pour 2023.
L’évolution de ces deux variables, qui constitue notre pouvoir d’achat, est encore inconnue : d’une part, comment va évoluer l’inflation en 2023 ? D’autre part, les partenaires sociaux ont-ils les moyens de négocier des augmentations de salaire à la hauteur de cette inflation et pourront-ils en même temps rattraper la perte de pouvoir d’achat de 2022 ?
L’inflation, une variable difficile à prévoir
Après une longue période de faible inflation, voire de déflation, qui nous rend nostalgiques, une poussée inflationniste est apparue entre août 2021 et février 2022. L’éclatement de la guerre en Ukraine semble ensuite avoir exacerbé la pression sur les prix, notamment en raison de son impact sur certaines matières premières, entrainant dans son sillage une augmentation des prix sur l’ensemble des postes du panier de biens et de services. L’inflation a particulièrement érodé le pouvoir d’achat des ménages tout en fragilisant certains secteurs de l’économie, notamment ceux qui dépendent fortement des prix de l’énergie et ne peuvent répercuter ces hausses sur les prix finaux. On pense tous à notre boulanger !
Désormais, se pose la question de l’évolution de l’inflation en 2023. Avons-nous atteint un point haut et l’inflation et va-t-elle enfin rebaisser ou s’agit-il d’un plateau situé entre 5% et 6% sur lequel nous risquons de rester un bon moment ? Ou peut-être faut-il craindre le mauvais scénario avec une hausse du taux d’inflation ? En janvier 2023, l’inflation est de 5.6% sur 12 mois glissants, contre 5.3% en décembre 2022, un chiffre qui ne permet pas d’être très optimiste.
Mais les partenaires sociaux ont des arguments à faire valoir lors des négociations salariales
Pour gagner en optimisme, mieux vaut se tourner vers les partenaires sociaux qui ont l’habitude des arguments usuels de leur Direction tels que « on n’est pas responsable de l’inflation », « l’entreprise subit la hausse des prix », « on court à notre perte », « on ne peut pas se permettre dans le contexte actuel d’incertitude » …
Vous avez peut-être la « chance » (sic) de travailler dans une entreprise qui profite du contexte géopolitique et de ses répercussions économiques. Pour celles et ceux qui auraient raté l’actualité, sachez que TotalEnergie a annoncé, pour l’année 2022, le bénéfice le plus élevé de son histoire avec plus de 20 milliards de dollars. Tout le monde ne travaille pas chez TotalEnergies ou Stellantis, certes. Mais tout de même, les marges des entreprises se portent plutôt bien en 2022 selon l’INSEE, en ligne avec les taux de marge observés avant la crise sanitaire, même si le secteur des services peine un peu plus. Aussi, avant de se présenter en négociation, une analyse de la profitabilité de l’entreprise s’impose, car la crise des ménages n’est pas forcément celle des entreprises. Les médias se font l’écho des bénéfices records de quelques entreprises et surfent sur les difficultés de certaines activités, masquant le fait que de nombreuses entreprises se portent bien et génèrent des résultats en ligne avec leurs performances d’avant la crise sanitaire. Les partenaires sociaux ne manqueront pas de rappeler à leur Direction que la démotivation des salariés face à la perte de leur pouvoir d’achat alors même que leur entreprise maintient ses bénéfices, se traduira inévitablement à terme par une baisse de la productivité et donc des bénéfices, jusqu’à la démission des collaborateurs.
Car, dans l’équation du pouvoir d’achat, il y a aussi une autre variable qui joue en la faveur des salariés et des partenaires sociaux et qui peut tenir une place prépondérante : il s’agit des difficultés de recrutement. Plus d’une entreprise sur deux est concernée en 2022 selon l’enquête de conjoncture de la Banque de France. Face aux fortes tensions sur le marché du travail, le rapport de force tend à s’inverser : ce n’est plus l’employeur qui choisit son candidat, mais le candidat qui choisit son employeur ! Dès lors, les entreprises se veulent séduisantes pour capter des candidatures. Mais pour cela, elles sont obligées de mettre en œuvre des politiques sociales tout aussi séduisantes avec une politique de rémunération particulièrement attractive en période inflationniste. (voir notre article sur la marque employeur, page xx).
Prenons un exemple pour illustrer ces propos : Metis Expertise accompagne le CSE d’une PME industrielle caractérisée par des difficultés financières et rachetée récemment par un grand Groupe. A la grande surprise des délégués syndicaux, les augmentations de salaire sont généreuses. Cadeau du nouvel actionnaire ? Aurait-il une fibre sociale ? Après avoir mené nos travaux, la réponse est autre. L’entreprise éprouve de réelles difficultés de recrutement qui peuvent mettre en difficulté la réalisation du plan de production. Elle recherche notamment des techniciens de maintenance et l’on sait qu’une panne de machine serait fortement préjudiciable à la capacité de l’entreprise à honorer ses commandes. L’entreprise est peu attrayante, car, dans la région, tout le monde a connaissance de ses difficultés qui ont régulièrement fait la Une de la presse locale. Au-delà de la réputation, il s’avère surtout que le niveau des rémunérations est bien en deçà du marché. Une remise à niveau de la grille des salaires n’est donc pas un acte généreux de la nouvelle Direction mais bien une condition nécessaire à la réalisation de son business plan.
Certes, cet exemple n’est pas commun et souvent, les délégués syndicaux doivent batailler durement pour obtenir des augmentations salariales. Mais en intégrant l’examen de la marge de l’entreprise, du turn-over et des démissions dans la préparation de leur NAO, en mesurant l’impact des postes vacants sur la performance de l’entreprise, en réalisant un benchmark des rémunérations dans leur secteur d’activité, les délégués syndicaux trouveront probablement des arguments pertinents pour justifier d’une revalorisation salariale et plus généralement du « package social » proposé aux salariés, dans un contexte de tensions sur le marché du travail. Les partenaires sociaux pourront alors démontrer que le manque de personnel et le turn-over ont un coût, à terme, bien plus élevé que la revalorisation des salaires.